Hauteurs de La Terrasse (Chartreuse)

Suivant un mois d’Octobre chaud et sec, Novembre reste fidèle à sa réputation et les nombreuses pluies et chutes de neige qui se sont succédées les jours précédents invalident toute sortie au-dessus de 1400m.
En remplacement, cette sortie va nous permettre d’explorer les hauteurs de La Terrasse en Grésivaudan et sera sur le thème de l’eau et des sentiers d’histoire (1) …
Départ du centre de La Terrasse pour rejoindre le sentier des Combes avec comme premier objectif la motte castrale de l’ancien château des Beaumont vers Montabon du Touvet.
Après quelques errements dans la forêt locale, nous retrouvons la sente arrivant en vue des ruines.
On a de la peine à retrouver la puissante demeure féodale qui dès le 11ème surveillait le Grésivaudan et où flottait à son sommet l’étendard des Beaumont.
Lorsque François de Beaumont, tristement célèbre Baron des Adrets (2), naquit un peu plus bas à La Frette, le château était déjà abandonné, la seigneurie ayant été rattachée à celle du Touvet en 1587.
La végétation qui a envahi la colline a sûrement remplacé les maisons qui se serraient autour du château (comme il était d’usage à l’époque).
Retrouvant un sentier connu des cartes, nous entamons le chemin de la mariée via une bonne grimpée dans le Bois de Beaumont pour atteindre le franchissement – sous un crachin persistant – de la crête de Sambec par le Passage de Croix Coquet (1040 m) nous permettant ainsi de déboucher sur le Plateau des Petites Roches, non loin de la Chapelle Saint-Michel.
Il s’agit d’un passage millénaire taillé dans la roche et connu sous de multiples noms : Le chemin de la Coutaz, le chemin des Côtes, le passage de la Mariée et désormais le passage de la Croix de Coquet.
Il apparaît déjà en 1313, il voyait alors passer les habitants de l’ancienne commune de St Michel qui se rendaient au Château de Beaumont, bergers, bûcherons ou chasseurs qui devaient à leur maître le quartier des grosses pièces de gibier tués dans le mandement.
Il procurait bien du souci aux usagers de St Michel qui pour se rendre au Touvet, leur chef-lieu devaient franchir un « rocher à pic » en 2h « d’une marche aussi rude que dangereuse », on mettait 3h à 4h pour remonter ce qui compromettait particulièrement les noces…
En effet, après le passage à la mairie du Touvet on arrivait bien tard sur le Plateau « exposés à perdre la vie et baignés de sueur » pour la cérémonie religieuse.
Ce fut une des raisons invoquées pour demander le rattachement de St Michel à St Bernard (effective en 1847).
Au passage du rocher qui vit souffler tant de mariées transpirantes, une croix scellée (croix Coquet) garde le souvenir d’une chute (du facteur « Coquet » ?) de 400 m du haut de la falaise en 1850 et qui se termina sans mort d’homme. L’inscription sur la branche transversale n’est actuellement plus lisible (rouille).
Après une expertise de notre ami Philippe (il doit en parler à son frère pour récupérer des pièces) d’un engin de débardage abandonné en pleine forêt (merci pour la pollution), nos pas, de plus en plus mouillés par une pluie modérée (niveau suivant le crachin) nous conduisent à la petite chapelle St Michel perdue dans son bosquet d’arbres sur la crête qu’elle occupe depuis le 11e siècle (il existe encore son chœur en voûte de pierre), la chapelle est l’ancienne église paroissiale, reconstruite au 17ème, elle était entourée au sud par son cimetière où l’on enterra les morts jusqu’en 1830. Elle était autrefois lieu de culte pour les habitants de St Michel du Touvet. Elle a été très bien restaurée et conserve une cloche.
Malheureusement, son entrée est fermée par une grille cadenassée, douchant (!) nos espoirs de nous mettre à l’abri pour notre repas…
Fort heureusement, un petit auvent latéral nous servit de refuge et nous pûmes nous sustenter au sec. Ceci dit, les boissons chaudes (et non chaudes d’ailleurs) ont été bien appréciées !!
Sans vouloir discréditer Météo France qui annonçait des éclaircies vers 14h (et qui ne sont jamais arrivées, la pluie passant au grade supérieur c’est à dire persistant voire « ca drache »), nous sommes quand même dans l’obligation de continuer le circuit pour atteindre le belvédère attendu : La pointe de Sambec à 1045 m (ou la pointe sur la crête de Sans Bec pour IGN).
Malgré le temps, la visibilité nous permet de nous situer au-dessus du Bois Didier et des cascades.
A ce point, il est important de noter comment les cartographes se sont bien amusés à changer les noms historiques locaux.

Ainsi, le nom « Sambec » qu’ils ont transformé en « Sans-Bec » serait (1) une adaptation populaire de Sambuc qui semble venir soit de Sambuc (sureau ?) ou de Sambue (selle dans le sens col plat), plus probablement ce dernier vu qu’on retrouve un pas de la Sambue en Vercors (rien à voir avec un oiseau qui aurait perdu son bec, etc.…),

Aussi, les locaux appellent ce lieu géodésique, la pointe de la Petite Roche (un peu standard évidemment) ou la pointe St Michel (normal),

Également, il faut noter que les cascades du Glésy que nous traverserons plus tard sont alimentées par de nombreux cours d’eau du vallon supérieur et en particulier par le ruisseau du Grésy (tel qu’encore nommé dans le cadastre actuellement) dont la source est au col de Marcieu.

Éblouis (!) par ce panorama et sous une pluie dont on sent qu’elle va nous suivre tout le reste du parcours, la descente s’amorce après un retour sur nos pas à travers les buis de la crête pour rattraper le sentier principal. Nous restons attentifs pour repérer la sente qui va nous permettre de rejoindre le fond du vallon à travers une forêt dont les couleurs automnales auraient apprécié quelques rayons de soleil (et les photos aussi).
La pluie nous avait accompagné jusqu’à présent, désormais une « certaine » humidité nous entoure au vu des multiples ruisseaux gorgés qui descendent dans le vallon croisant le Grésy, les Suifs pour ceux qui ont des passerelles (bien glissante comme l’a pu vérifier une participante) pour les traverser mais aussi d’autres sans… Certains ont pu rajouter les pieds dans l’eau également (au point où nous en étions) !!
Le bouillonnement des eaux et leur grondement nous captive mais nous restons attentifs sur ce sentier ruisselant et coupé par des arbres fraîchement tombés.
Enfin nous atteignons le passage des Gruaux via le panneau de la combe de Barbouse (790 m).
Le sentier du ruisseau de Grésy (ou Glésy, on ne sait plus!) était considéré comme l’un des plus pittoresques par les anciens avec ses deux belles cascades et les vestiges des moulins d’autrefois. Le torrent avec son chapelet de cascades est sûrement un des plus beaux du plateau. Autrefois, de nombreux moulins s’échelonnaient sur ses rives.
Ce passage séculaire des Gruaux nous permet de franchir la crête pour aboutir au site pittoresque des Cascades du Glésy. Plusieurs fois centenaires avec celui de La Mariée (coquet ?), ils étaient le lien entre Le Touvet et le plateau de St Bernard.
Dans (1), Gruaux: Toponyme sans grâce évoquant de « terre argileuse mêlée de pierre »
Depuis le moyen âge, le chemin des Gruaux a été celui des vignerons; fidèles jusqu’à nos jours à une tradition dont on ignore l’origine, les habitants de Saint-Bernard ont de tout temps possédé un vignoble au-dessus de La Terrasse ; au XVIIIe siècle la vigne s’accrochait jusqu’à l’attitude de 600 m ; plus tard elle se concentra à Lachat et Montabon où elle subsiste encore ; avant 1914 aux mois de mars et d’octobre une trentaine d’exploitants accompagnés de leur famille formaient une file presque continue le matin et le soir de Lachat aux Benoits, ils n’étaient plus que 12 dans les années 60, un seul aujourd’hui reste fidèle aux Gruaux chemin de ses ancêtres depuis le XIVe
Taillé étroitement dans la roche, il franchit la falaise sans difficulté grâce à la présence de mains courantes rassurant le promeneur car l’usure des siècles a poli la pierre et l’a rendue glissante.
Puis le sentier file au Nord au pied de la paroi pour arriver à la cascade inférieure du Glésy. La supérieure, plus esthétique car torsadée dans sa magnifique goulotte, est accessible par une sente facile mais raide.
Après la traversée d’un petit pont de pierre qui aura vu passer des générations de promeneurs, un chemin nous ramène rapidement à la Départementale 29. Il faudra l’emprunter sur 500 m avant de découvrir le départ d’un sentier accessible en enjambant la rambarde de sécurité : c’est le sentier des Ebavous (appelé aussi des 50 lacets), une petite merveille de douceur serpentant dans des pentes boisées escarpées.
Celui-ci finit par aboutir à un chemin qui, à droite, traverse sans problème le cours d’eau grâce au Pont de la Gorge. Enfin, c’est en longeant sa rive droite que l’on retrouve le début du circuit… toujours sous la pluie.
En bref, un thème aquatique très présent tout le long de la journée mais parcouru avec le plaisir de sortir afin de découvrir de nouveaux paysages et quand l’histoire s’en mêle, on apprécie d’autant mieux ce que les anciens nous ont légué.
ChristianB (1) Référence dans le livre de Bruno Guirimand, « Petites Roches, sentiers d’histoire »
(2) Je vous laisse regarder sa fiche Wikipedia. Le nom du Baron des Adrets est passé à la postérité sous le nom de « baron sanguinaire ». Il est considéré comme l’homme le plus cruel du 16e siècle. Converti à la religion protestante suite à une altercation avec le Duc de Guise. Il combat pour les protestants dès 1562 jusqu’en 1564, date où il retourne à la religion catholique et pourfend du huguenot avec la même fureur qu’il avait combattu les catholiques.
Un des exemples de sa cruauté est la prise de Montbrison. Il « invente » les sauteries de la mort : il fait sauter la garnison de la ville du haut des remparts sur des piques….
(3) Cf Salvi in https://www.dailymotion.com/video/x2nkef